Lit de coin et alcôve dans la Sarthe

De Maisons Paysannes de France
Photo 1: maison au lieu-dit Belle-Rivière à Vivoin

Autrefois, les petites fermes ne possédaient la plupart du temps que deux pièces habitables: la pièce à feu où se trouvait la cheminée, et la pièce froide souvent appelée "chambre". Une étable, parfois reliée par une porte au reste de la maison, complétait ce dispositif. Les maisons les plus récentes ou les plus cossues se sont agrandies dans la continuité de la construction, formant longère, jusqu'à posséder 3 ou 4 pièces habitables.

Lits de coin

Photo 2 : alcôves au lieu-dit Belle-Rivière à Vivoin

Dans la pièce principale, il y avait au moins un lit de coin, mais elle pouvait en contenir plusieurs, de part et d'autre de la cheminée ou le long du mur opposé à la porte d'entrée, ou même dans trois des angles de la pièce. Il existait également des lits à colonnes supportant un dais, avec enveloppement complet de rideaux sur les deux façades extérieures. En journée, les étoffes étaient attachées aux montants servant de colonnes. Souvent, un simple rideau accroché aux solives permettait le soir venu de se protéger du froid et de trouver un peu d'intimité.

Alcôves en Sarthe

Cette disposition en "lits de coin" protégés ou non par des rideaux, semblait jusqu'à récemment la formule unique utilisée en campagne, si l'on excepte les paillasses des plus pauvres et les lits à baldaquin des plus riches. Pourtant, des alcôves sont attestées dans trois communes du nord de la Sarthe : Vivoin, Coulombiers et Chérancé.

Photo 3 : ce qu'il reste de deux alcôves dans une maison en ruines au lieu-dit Saint-Gilles, commune de Chérancé.

A Vivoin, elles existent toujours au lieu-dit "Belle Rivière" (photos 1 et 2). Deux lits, intégrés dans une menuiserie qui occupe tout un côté de la pièce (le côté nord, aveugle), sont séparés par un placard qui contenait les draps et édredons et qui dissimulait le bas d'une horloge comtoise. Des rideaux permettaient d'occulter les lits. La maison paraît dater de la seconde moitié du 19ème siècle. Les menuiseries pourraient être contemporaines. L'influence bretonne des lits clôts ne se ressent pas ici dans le style des menuiseries qui est bien local.

A Coulombier, il existait selon Jean-Pierre Rossard, médecin à Beaumont-sur-Sarthe, un autre ensemble de deux alcôves aujourd'hui disparu. Le placard central possédait une ouverture sur l'extérieur, ce qui permettait d'envoyer directement les déchets de cuisine vers le poulailler.

A Chérancé, tout près de là, un autre ensemble, très similaire, vient d'être repéré dans une maison en ruine (photo 3).

Dormir dans une maison traditionnelle

Il reste peu de traces de lits à colonnes ou d'alcôves. Pourtant, ces aménagements devaient être assez courants au 19ème siècle. En 1933, une publicité de la maison Salva Frères, décorateurs, proposait encore "le lit dans son alcôve", en reconstitution de vieux intérieurs d'époque. Le confort était spartiate et tout se passait dans la salle de vie. A partir de la seconde moitié du 19ème siècle, petit à petit, des chambres ont été créées pour des espaces de nuit.

Actuellement, il est encore possible de vivre dans les deux pièces d'une maison traditionnelle, sauf pour les couchages qui doivent être dissociés. Lorsqu'il s'agit d'adapter une maison ancienne au mode de vie actuel, la pièce à feu devient la salle principale (éventuellement un lit de coin peut être conservé comme lit d'appoint et pour la décoration) et la pièce froide peut devenir un salon ou la cuisine. Pour les chambres et la toilette, il est nécessaire de créer des espaces supplémentaires si la maison n'en dispose pas. Plusieurs opportunités peuvent se présenter: agrandissement en continuité de la maison comme cela se pratiquait autrefois, ou bien sur le nord, côté le moins visible et le moins ouvert (ce qui permet de laisser intacte la façade principale), ou bien encore en gagnant sur des dépendances. L'aménagement des combles est également une possibilité si la charpente le permet. Il faudra dans ce cas veiller à ne pas alourdir (voire écraser) la maison, en évitant de rehausser la toiture et en privilégiant de petites fenêtres de toit plutôt qu'une massive série de lucarnes.

Témoignage

Yves Visdeloup, né en 1940, est le 5ème enfant d'une fratrie de huit, qui a vécu au Bas-Possé, dans la campagne d'Assé-le-Riboul, de 1940 à 1967.

Eugène, le père, était ouvrier agricole. La famille n'était pas riche et elle ne disposait que d'une seule pièce de vie: la pièce chaude avec la cheminée. L'autre pièce, en terre battue et plus petite, était un lieu de travail. Tout le monde dormait dans la pièce principale. Il y avait trois lits, la table, des bancs et un petit buffet. Il n'y avait guère de place pour autre chose. Dès que les enfants étaient en âge de travailler, ils partaient de la maison. Il restait tout au plus 7 ou 8 personnes à loger. Il arrivait que 4 enfants couchent dans le même lit, tête-bêche. Les lits étaient recouverts de couettes et, l'hiver, la cheminée fonctionnait en permanence. Le puits se trouvait à une cinquantaine de mètres, juste à côté d'une seconde maison en mauvais état, formant dépendance. La lessive et la toilette se faisait donc dans la pièce principale de cette vieille demeure dont la cheminée ne fonctionnait plus depuis longtemps. Quand les enfants plus âgés revenaient dans la famille, ils étaient logés dans cette seconde maison.