Croix archaïques en roussard au pays du Haut Maine

De Maisons Paysannes de France
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Une richesse ignorée. 

Au nord-ouest de la Sarthe subsiste un patrimoine particulièrement riche en croix de diverses époques. Nous y rencontrons des croix de chemin, de carrefours, d’épidémies, de bornages, de commémorations, de Rogations, des Rameaux (appelées aussi hosannières ou buissées) ainsi que des croix Jacquaires ou Montoises. 

On les appelle archaïques en raison de leurs formes curieuses et de leur date reculée. Vingt, voire trente générations ont posé leur regard sur elles, au passage. Dépourvues d’inscriptions, elles ne sont pas pour autant muettes du message de ceux qui les ont plantées à même le sol. Ces pierres sacrées nous parlent encore mais nous ne les comprenons plus. 

Bon nombre d’entre elles jalonnaient des voies de pèlerinage. Nos ancêtres allaient de l’une à l’autre en se rendant de village en village vers le Mont-Saint-Michel ou Saint-Jacques-de-Compostelle, si tel était le vœu à accomplir. 

Aire de diffusion des croix archaïques en roussard.

 

Il s’agit du nord-ouest du Haut Maine, région qui comprend la haute vallée de la Sarthe, l’ouest de la vallée de la Sarthe jusqu’au Mans et les confins du massif des Coëvrons dans sa partie orientale.

L’aire de diffusion s’étend principalement autour des communes de Fresnay-sur-Sarthe, Beaumont-sur-Sarthe, Sillé-le-Guillaume, Conlie et le Mans (nord-ouest), puis dans une moindre mesure près de Ballon et de Saint-Paterne. 

Le roussard est un grès ferrugineux parfois très dur qui a donné un caractère particulier aux constructions de sa région. C’est dans cette pierre résistante à l’érosion que furent taillées ces curieuses croix. 

Typologie des croix de pierre du Haut Maine. 

- Les croix dites « pattées » ou asymétriques :

Ce sont des monolithes, sans effigie. Elles sont petites en général, taillées grossièrement. Leur hauteur se situ entre 1 m et 1 m 60 hors du sol. L’absence de socle est un signe certain d’ancienneté.

Ces croix pourraient être antérieures aux XI et XIIe siècles, époques où revient l’usage de la pierre dans les édifices et où se confirme par voie de conséquence le retour d’une incontournable maîtrise des artisans. 

- Les croix ambivalentes :

Aux environ des XII et XIIIe siècles apparaît un nouveau type de croix que nous appelons « ambivalentes » car leur style hésitant se détache progressivement de la forme des croix pattées pour se rapprocher de celles des croix latines. 

- Les croix latines :

Ce sont des croix qui se caractérisent  par une forme plus régulière t par des bras symétriques. Elles témoignent d’une rigueur d’exécution et d’une habileté de mieux en mieux affirmées. Certaines, souvent les plus anciennes, sont à pans coupés (l’arête de la pierre est taillée en oblique, en chanfrein ; les plus récentes présentent des angles vifs. Elles reposent en général sur un socle. Parfois, elles présentent une petite niche pour le culte marial. 

- Les croix à disque sur fût :

Elles se composent d’un disque portant une croix grecque, situé entre le croisillon supérieur et le pied de la croix.

En l’état actuel de nos connaissances, ce type de croix se rencontre uniquement dans le Maine, sur des chemins ou au centre des places et des cimetières. Elles se repèrent seulement au bord des chemins montois qu’on empruntait aussi dans l’autre sens pour se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Elles pourraient âtre l’œuvre de Templiers puis des Hospitaliers de Saint-Jean habitant le Gué-Lian près de Fresnay. Les stèles discoïdales sans bras ne font pas partie de cette catégorie, elles étaient uniquement funéraires et se trouvent plutôt dans le sud de la France. 

- Les croix à double traverse.

La croix à double traverse se caractérise par deux croisillons inégaux sur un fût. C’est aussi la croix patriarcale de Jérusalem. 

- Les croix couplées :

Trois cas sont connus dans le Haut Maine, mais on en retrouve dans tout le grand ouest.

Les croix couplées ont en commun leur différence de taille, leur forme toujours différente et leur situation le long de voies anciennes. Leur signification reste incertaine, mais on peut émettre les hypothèses suivantes :

Le pèlerin trouverait dans sa rencontre avec des croix couplées un appel à marcher derrière le Christ.

La plus basse pourrait représenter le bon larron saisi par la grâce, exemple d’une conversion toujours possible du pèlerin repentant. 

Des similitudes en Bretagne.

 

Certaines de nos plus belles croix du Haut Maine ressemblent tout à fait à des croix bretonnes distantes parfois de 340 km à vol d’oiseau. Les angles remarquables des croix asymétriques, notamment, sont souvent identiques.

De si nombreuses coïncidences entre les croix de Bretagne et celles du Haut Maine tendent à prouver l’existence d’un schéma symbolique véhiculé entre ces deux régions.

Il faut peut être y voir une influence de l’Eglise celte exercée avant le XIe siècle  au nord-ouest du Mans. 

Croix de carrefour, croix de chemin, croix de pèlerins.

 

Pendant des siècles, des pèlerins de toutes conditions ont emprunté les chemins menant au Mont Saint-Michel ou vers d’autres lieux saints. Pour les guider et les encourager, les croix se sont généralisées sur les grands itinéraires de la chrétienté, ornées parfois de coquilles Saint-Jacques ou d’un bourdon de pèlerin. Mais toutes les croix n’offrent pas un sens aussi clair. On en rencontre certaines dont on ne peut expliquer ni la forme ni le motif ornemental. Citons en quelques unes :

-        Croix à disque sur fût ornée d’une croix grecque inscrite dans le disque.

-        Croix portant une croix grecque au centre des bras.

-        Croix ornées de ronds 

Les itinéraires.

 

L’étude du terrain, les noms de lieu, l’iconographie et quelques sources écrites ont permis de faire apparaître assez nettement trois itinéraires :

-        Le premier partait du Mans et se dirigeait vers Sillé-le-Guillaume.

-        Le deuxième reliait Le Mans et Alençon.

-        Le troisième passait entre les deux précédent, via le Gué d’Assé-le-Riboul et Sougé-le-Ganelon, avec un détour possible par Saint-Christophe-du-Jambet. 

Encore beaucoup de questions. 

Les croix du Haut Maine représentent une richesse patrimoniale exceptionnelle. Elles se dressent au cœur de la mémoire du nord-ouest de la Sarthe, là où l’on a extrait le grès roussard donnant à l’architecture de cette région un caractère bien particulier. Elles sont intéressantes à plus d’un titre : leur antiquité, leurs formes particulières, leur portée historique et sociologique...

Mais bon nombre de ces croix posent encore question ; comment expliquer le caractère celtique de plusieurs d’entre elles, le secret de la croix « casquée » de Sillé-le-Guillaume, la signification de la double croix de Domfront, le symbolisme des croix à disque sur fût, ce que signifient les ronds gravés, quelle est la finalité des angles fermés « remarquables », pourquoi ce gisement important à cet endroit ? 

Un patrimoine en danger.

 

Ces croix ne craignent pas les intempéries, elles ont remarquablement résisté pendant des siècles. Aujourd’hui pourtant, elles sont menacées notamment par les machines agricoles et surtout pat les engins d’entretien des accotements routiers.

Une prise de conscience est nécessaire si l’on veut sauvegarder ce patrimoine remarquable.  

Bibliographie.

 

Croix archaïques en roussard et croix de  pèlerins au pays du Haut Maine – Roger Grignon et Pierre Davoust – Imprimerie Fresnoise éditions.

Site internet : https://croixdesarthe.blogspot.com/