Bauge en Sarthe et dans le Perche sarthois : Différence entre versions

De Maisons Paysannes de France
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[[Fichier:0. Vibraye Le Tertre3 - Copie.jpg|vignette|Grange en bauge à Vibraye - Photo Perche Sarthois - 2006.]]
 
 
Le département de la Sarthe se caractérise par une géologie variée, à l’origine de la diversité des matériaux présents dans l’architecture vernaculaire. Ainsi, la présence d’argiles a entraîné l’utilisation de la terre, sous sa forme crue ou cuite, selon les traditions constructives et les époques.
 
Le département de la Sarthe se caractérise par une géologie variée, à l’origine de la diversité des matériaux présents dans l’architecture vernaculaire. Ainsi, la présence d’argiles a entraîné l’utilisation de la terre, sous sa forme crue ou cuite, selon les traditions constructives et les époques.
 
Les tuiles plates et les briques de terre cuite sont encore des éléments marquants de l’architecture rurale de la Sarthe, à laquelle elles confèrent une certaine unité. En revanche, la disparition progressive de la terre crue au XXe siècle a occulté peu à peu son importance passée et ses deux modes de mises en œuvre : torchis et bauge.
 
Les tuiles plates et les briques de terre cuite sont encore des éléments marquants de l’architecture rurale de la Sarthe, à laquelle elles confèrent une certaine unité. En revanche, la disparition progressive de la terre crue au XXe siècle a occulté peu à peu son importance passée et ses deux modes de mises en œuvre : torchis et bauge.
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torchis, il lui est beaucoup plus difficile de distinguer les rares témoins de l’architecture en bauge. Avant leur disparition totale, au moment où les problématiques environnementales génèrent un
 
torchis, il lui est beaucoup plus difficile de distinguer les rares témoins de l’architecture en bauge. Avant leur disparition totale, au moment où les problématiques environnementales génèrent un
 
regain d’intérêt pour ce matériau durable, nous nous proposons d’en présenter les principales caractéristiques, les usages et de tenter de cerner sa diffusion en Sarthe.
 
regain d’intérêt pour ce matériau durable, nous nous proposons d’en présenter les principales caractéristiques, les usages et de tenter de cerner sa diffusion en Sarthe.
[[Fichier:1.loge de charbonnier version allégée.jpg|vignette|Loge de charbonnier en forêt de Vibraye au début du XXe siècle. Sa construction en mottes de terre agglomérées semble proche de l'une des techniques de la bauge. Collection privée.]]
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== La bauge, l’une des trois techniques d’architecture de terre crue. ==
 
== La bauge, l’une des trois techniques d’architecture de terre crue. ==
[[Fichier:2. Avezé La Mussardière - Copie.jpg|vignette|Avezé, la Mussardière, détail du mur en bauge et de ses vestiges d'enduit à la chaux. Photo CEMJIMA-Perche Sarthois, 2016.]]
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Toutes les régions de France ont utilisé la terre dans la construction. Toutefois, il faut distinguer les techniques d’architecture de terre crue, dans lesquelles la terre est utilisée comme matériau porteur, du pan de bois et du torchis, architecture mixte dans laquelle la terre sert seulement de matériau de remplissage de la structure. Toutes deux s’inscrivent dans la continuité des techniques constructives  les plus primitives et de leurs évolutions (Loge de charbonnier), elles peuvent coexister dans une même région et à une même époque. Il existe trois principales techniques d’architecture de terre crue qui se répartissent en trois grandes zones géographiques : la bauge présente dans une vaste zone située dans le nord-ouest de la France, le pisé (terre crue coffrée) dominant une large frange sud-est remontant jusqu’à la Bresse et l’adobe (brique de terre crue moulée) localisée dans le sud-ouest.
 
Toutes les régions de France ont utilisé la terre dans la construction. Toutefois, il faut distinguer les techniques d’architecture de terre crue, dans lesquelles la terre est utilisée comme matériau porteur, du pan de bois et du torchis, architecture mixte dans laquelle la terre sert seulement de matériau de remplissage de la structure. Toutes deux s’inscrivent dans la continuité des techniques constructives  les plus primitives et de leurs évolutions (Loge de charbonnier), elles peuvent coexister dans une même région et à une même époque. Il existe trois principales techniques d’architecture de terre crue qui se répartissent en trois grandes zones géographiques : la bauge présente dans une vaste zone située dans le nord-ouest de la France, le pisé (terre crue coffrée) dominant une large frange sud-est remontant jusqu’à la Bresse et l’adobe (brique de terre crue moulée) localisée dans le sud-ouest.
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== Le matériau et sa mise en œuvre. ==
 
== Le matériau et sa mise en œuvre. ==
[[Fichier:3. Extrait PCD.jpg|vignette|Extrait de l'étude de terrain par Paul Cordonnier-Détrie le 25 avril 1947 à Avezé. Collection privée.]]
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La bauge est composée d’un mélange de terre argileuse ou argilo-limoneuse, de végétal et d’eau.
 
La bauge est composée d’un mélange de terre argileuse ou argilo-limoneuse, de végétal et d’eau.
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[[Fichier:5. Vibraye La Fontaine de Guette-Loup - Copie.jpg|vignette|Vibraye, la Fontaine de Guette-Loup, façade arrière de la maison et ses renforts en bois. Photo CEMJIKA-Perche Sarthois, 2018.]]
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== Un intérêt tardif en Sarthe ==
  
== Un intérêt tardif en Sarthe ==
 
[[Fichier:6. Préval Les Pâtis - Copie.jpg|vignette|Préval, les Pâtis, façade arrière de la grange-étable en bauge avec renforts en rognons de silex. Photo Perche Sarthois, 2006.]]
 
  
 
En Sarthe, la bauge est encore assez mal connue. Les archives révèlent la présence de la terre dans l’architecture notamment par les mentions fréquentes dans les visites et montrées (équivalent des états des lieux actuels) des termes terrasse et « terrasseur » désignant le matériau terre et le professionnel chargé de sa mise en œuvre, sans que l’on sache à quel type de technique d’utilisation de la terre ces mentions se rapportent. En outre, l’intérêt porté à l’architecture rurale débute dans les années 1930 avec Paul Cordonnier-Détrie qui a relevé et étudié un vaste corpus de bâtiments ruraux. S’il s’est surtout attaché à analyser les formes et les usages, il signale également les matériaux parmi lesquels la terre, mais son analyse semble s’appuyer essentiellement sur l’étude de bâtiments en pan-de-bois. Aussi, il faut attendre l’an 2000 pour qu’un premier article soit consacré à la bauge à partir de l’analyse de cas du secteur de Saint-Calais (2). En outre, au cours de la décennie 2000, un premier recensement est effectué par le Pays d’art et d’histoire du Perche Sarthois ; il servira de base à une communication de Julien Hardy dans le cadre d’un colloque européen organisé par le PNR des Marais du Cotentin et du Bessin en 2006 (3) et à la mise en place d’actions de valorisation : visites, circuits et aides financières à la restauration pour les particuliers. L’étude de terrain fut assortie d’une enquête auprès des habitants du Perche Sarthois qui confirma une confusion déjà observée dans la documentation de Paul Cordonnier-Détrie (Extrait texte PCD), des termes utilisés - terrasse, pogée, bauge ou encore torchis - quelle que soit la technique utilisée.
 
En Sarthe, la bauge est encore assez mal connue. Les archives révèlent la présence de la terre dans l’architecture notamment par les mentions fréquentes dans les visites et montrées (équivalent des états des lieux actuels) des termes terrasse et « terrasseur » désignant le matériau terre et le professionnel chargé de sa mise en œuvre, sans que l’on sache à quel type de technique d’utilisation de la terre ces mentions se rapportent. En outre, l’intérêt porté à l’architecture rurale débute dans les années 1930 avec Paul Cordonnier-Détrie qui a relevé et étudié un vaste corpus de bâtiments ruraux. S’il s’est surtout attaché à analyser les formes et les usages, il signale également les matériaux parmi lesquels la terre, mais son analyse semble s’appuyer essentiellement sur l’étude de bâtiments en pan-de-bois. Aussi, il faut attendre l’an 2000 pour qu’un premier article soit consacré à la bauge à partir de l’analyse de cas du secteur de Saint-Calais (2). En outre, au cours de la décennie 2000, un premier recensement est effectué par le Pays d’art et d’histoire du Perche Sarthois ; il servira de base à une communication de Julien Hardy dans le cadre d’un colloque européen organisé par le PNR des Marais du Cotentin et du Bessin en 2006 (3) et à la mise en place d’actions de valorisation : visites, circuits et aides financières à la restauration pour les particuliers. L’étude de terrain fut assortie d’une enquête auprès des habitants du Perche Sarthois qui confirma une confusion déjà observée dans la documentation de Paul Cordonnier-Détrie (Extrait texte PCD), des termes utilisés - terrasse, pogée, bauge ou encore torchis - quelle que soit la technique utilisée.
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[[Fichier:6a. Préval les Pâtis mottes 1 - Copie.jpg|vignette|Préval, les Pâtis, vue intérieure de la grange avec détail du montage par alignement des mottes. Photo Perche Sarthois, 2006.]]
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== La bauge dans le Perche Sarthois. ==
  
== La bauge dans le Perche Sarthois. ==
 
[[Fichier:6b. Préval les Pâtis mottes - Copie.jpg|vignette|Préval, les Pâtis, détail du montage par alignement de mottes du mur de la grange-étable. Photo Perche Sarthois, 2006.]]
 
[[Fichier:BAUGE CROIX MIGNON 1984 (1280x768).jpg|vignette|Bordage en bauge à la Croix Mignon, Sémur-en-Vallon. Photo Alain Rocheron - Maisons Paysannes de France.]]
 
  
 
Dans le Perche Sarthois, 49 sites ont pu être recensés à ce jour, à l’exception de deux cas situés dans les bourgs de Saint-Quentin (rattachée à la commune de Saint-Maixent) et de Sainte-Osmane, il s’agit de lieux dispersés dans la campagne. La bauge apparaît parfois de façon très partielle, sur un seul bâtiment, voire sur un seul pan de mur, parfois même en reprise de maçonnerie. Il s’agit la plupart du temps de maisons modestes et de petits bâtiments agricoles dont la forme ne diffère pas des bâtiments construits dans d’autres matériaux. Dans beaucoup de cas, la bauge est très altérée par l’usure du temps ou prématurément dégradée par l’abandon du bâtiment. Parfois, elle est masquée par des enduits qui ne la laissent entrevoir que dans les zones endommagées. Ce constat laisse supposer qu’il subsiste peut-être plus d’édifices qu’il n’y paraît, surtout pour les maisons re-enduites régulièrement par leurs propriétaires. À ce titre, il n’est pas rare de constater que la façade du logis est construite en  pierre, sans qu’il soit forcément possible de savoir si elle a fait l’objet d’une reconstruction ultérieure ou non.
 
Dans le Perche Sarthois, 49 sites ont pu être recensés à ce jour, à l’exception de deux cas situés dans les bourgs de Saint-Quentin (rattachée à la commune de Saint-Maixent) et de Sainte-Osmane, il s’agit de lieux dispersés dans la campagne. La bauge apparaît parfois de façon très partielle, sur un seul bâtiment, voire sur un seul pan de mur, parfois même en reprise de maçonnerie. Il s’agit la plupart du temps de maisons modestes et de petits bâtiments agricoles dont la forme ne diffère pas des bâtiments construits dans d’autres matériaux. Dans beaucoup de cas, la bauge est très altérée par l’usure du temps ou prématurément dégradée par l’abandon du bâtiment. Parfois, elle est masquée par des enduits qui ne la laissent entrevoir que dans les zones endommagées. Ce constat laisse supposer qu’il subsiste peut-être plus d’édifices qu’il n’y paraît, surtout pour les maisons re-enduites régulièrement par leurs propriétaires. À ce titre, il n’est pas rare de constater que la façade du logis est construite en  pierre, sans qu’il soit forcément possible de savoir si elle a fait l’objet d’une reconstruction ultérieure ou non.
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Plusieurs sites font l’objet d’une variante technique qui semble inspirée du pan de bois puisque les murs ont été renforcés de poteaux verticaux et de contrefiches, c’est le cas à La Fontaine de Guette-Loup à Vibraye (Façade arrière de la maison de la Fontaine de Guette-loup et ses renforts en bois), à Adel à Montaillé ou encore à la Mussardière à Avezé.
 
Plusieurs sites font l’objet d’une variante technique qui semble inspirée du pan de bois puisque les murs ont été renforcés de poteaux verticaux et de contrefiches, c’est le cas à La Fontaine de Guette-Loup à Vibraye (Façade arrière de la maison de la Fontaine de Guette-loup et ses renforts en bois), à Adel à Montaillé ou encore à la Mussardière à Avezé.
 
Toutefois, la bauge est également présente ponctuellement dans d’autres secteurs géographiques sur des sites plus importants comme celui de la métairie des Pâtis à Préval, rattachée à la fin du XIXe siècle au château de la Matrassière, ou à Jauzé au sein de l’ancienne ferme du château de Bel Air et dans le hameau agricole de la Grande Brosse, dépendant du domaine de la Paysanterie. Sur ces trois lieux, la technique mise en œuvre semble bien maîtrisée, elle ne présente pas de renforts de bois. Le site assez remarquable des Pâtis à Préval se distingue sur différents points. En effet, outre la façade arrière de la maison, il comprend dans le prolongement du logis une grange-étable d’assez grande taille. L’élévation présente sur la façade arrière des renforts en pierre aux angles, de même que de chaque côté de petites baies en pierre de taille. Ce type de renforts semble assez rare même s’il a pu être observé sur le four à chanvre de Chanteloup à Vivoin et à Thimert-Gatelles en Eure-et-Loir. Enfin, il s’agit du seul site où la technique de la motte a pu être remarquée.
 
Toutefois, la bauge est également présente ponctuellement dans d’autres secteurs géographiques sur des sites plus importants comme celui de la métairie des Pâtis à Préval, rattachée à la fin du XIXe siècle au château de la Matrassière, ou à Jauzé au sein de l’ancienne ferme du château de Bel Air et dans le hameau agricole de la Grande Brosse, dépendant du domaine de la Paysanterie. Sur ces trois lieux, la technique mise en œuvre semble bien maîtrisée, elle ne présente pas de renforts de bois. Le site assez remarquable des Pâtis à Préval se distingue sur différents points. En effet, outre la façade arrière de la maison, il comprend dans le prolongement du logis une grange-étable d’assez grande taille. L’élévation présente sur la façade arrière des renforts en pierre aux angles, de même que de chaque côté de petites baies en pierre de taille. Ce type de renforts semble assez rare même s’il a pu être observé sur le four à chanvre de Chanteloup à Vivoin et à Thimert-Gatelles en Eure-et-Loir. Enfin, il s’agit du seul site où la technique de la motte a pu être remarquée.
[[Fichier:0'.Avesnes dépedce agricole - Copie.jpg|vignette|Dépendance agricole en bauge, Avesnes-en-Saosnois - Photo Patrick Dejust - Maisons Paysannes de la Sarthe.]]
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[[Fichier:Moitron 2 - Copie.jpg|vignette|Grange-étable en bauge à Moitron (détruite). Photo Patrick Dejust - Maisons Paysannes de la Sarthe.]]
 
 
Ce dernier point doit être nuancé sachant que cette technique est souvent repérable uniquement depuis l’intérieur des bâtiments, or il est rare qu’il soit possible d’y accéder. Quoi qu’il en soit le caractère imposant du bâtiment et le soin apporté à la construction confirme que cette technique ne doit pas être perçue comme l’apanage de la paysannerie la plus modeste puisque les trois derniers exemples relèvent de domaines importants. Aussi, le choix de ce matériau pourrait notamment s’expliquer par la combinaison d’une pression démographique forte et l’évolution de l’agriculture. En effet, les campagnes sarthoises atteignent le maximum de leur population vers 1850, ce qui entraîne la création de nouveaux sièges d’exploitation, y compris sur les terres les plus ingrates jusque là dévolues aux landes. Dans le même temps, l’agriculture fait l’objet d’une diversification des productions et d'une spécialisation des bâtiments agricoles. Ces différents aspects entraînent des besoins considérables en matière de constructions rurales. Pour y faire face, les populations les plus aisées continuent parfois à bâtir en pan de bois par tradition ou privilégient désormais la construction en moellons combinés à la brique dont la production augmente fortement dans cette période. Néanmoins, par souci d’économie, d’autres, souvent les habitants les plus modestes, optent pour la bauge qui ne nécessite pas l’achat de matériaux, la terre pouvant être prise sur le lieu même de la construction, ni d’outils spécifiques, ni de recourir à une main d’œuvre spécialisée même si une certaine technicité est requise. Le manque de maîtrise peut d’ailleurs sans doute expliquer la présence de renforts sur certains bâtiments. La seconde moitié du XIXe siècle est aussi le moment où les échanges se multiplient grâce à l’amélioration des routes et au développement du chemin de fer. Il est donc possible que ces évolutions aient favorisé la diffusion de cette technique depuis les régions voisines. Puis, dès la fin du XIXe siècle s’amorce une longue phase d’exode rural qui s’accentue au tournant du XXe siècle : les campagnes se vident progressivement, la technique de la bauge est délaissée peu à peu au début du XXe siècle et définitivement abandonnée après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux bordages (petites fermes) sont supprimés et leurs bâtiments en bauge se dégradent peu à peu. Très solides lorsqu’ils sont préservés de l’humidité, ils deviennent très vulnérables dès qu’ils ne sont plus entretenus. En effet, les infiltrations d’eau délitent la terre qui semble fondre comme un pain de glace avant de retourner à la nature sans laisser de trace.
 
Ce dernier point doit être nuancé sachant que cette technique est souvent repérable uniquement depuis l’intérieur des bâtiments, or il est rare qu’il soit possible d’y accéder. Quoi qu’il en soit le caractère imposant du bâtiment et le soin apporté à la construction confirme que cette technique ne doit pas être perçue comme l’apanage de la paysannerie la plus modeste puisque les trois derniers exemples relèvent de domaines importants. Aussi, le choix de ce matériau pourrait notamment s’expliquer par la combinaison d’une pression démographique forte et l’évolution de l’agriculture. En effet, les campagnes sarthoises atteignent le maximum de leur population vers 1850, ce qui entraîne la création de nouveaux sièges d’exploitation, y compris sur les terres les plus ingrates jusque là dévolues aux landes. Dans le même temps, l’agriculture fait l’objet d’une diversification des productions et d'une spécialisation des bâtiments agricoles. Ces différents aspects entraînent des besoins considérables en matière de constructions rurales. Pour y faire face, les populations les plus aisées continuent parfois à bâtir en pan de bois par tradition ou privilégient désormais la construction en moellons combinés à la brique dont la production augmente fortement dans cette période. Néanmoins, par souci d’économie, d’autres, souvent les habitants les plus modestes, optent pour la bauge qui ne nécessite pas l’achat de matériaux, la terre pouvant être prise sur le lieu même de la construction, ni d’outils spécifiques, ni de recourir à une main d’œuvre spécialisée même si une certaine technicité est requise. Le manque de maîtrise peut d’ailleurs sans doute expliquer la présence de renforts sur certains bâtiments. La seconde moitié du XIXe siècle est aussi le moment où les échanges se multiplient grâce à l’amélioration des routes et au développement du chemin de fer. Il est donc possible que ces évolutions aient favorisé la diffusion de cette technique depuis les régions voisines. Puis, dès la fin du XIXe siècle s’amorce une longue phase d’exode rural qui s’accentue au tournant du XXe siècle : les campagnes se vident progressivement, la technique de la bauge est délaissée peu à peu au début du XXe siècle et définitivement abandonnée après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux bordages (petites fermes) sont supprimés et leurs bâtiments en bauge se dégradent peu à peu. Très solides lorsqu’ils sont préservés de l’humidité, ils deviennent très vulnérables dès qu’ils ne sont plus entretenus. En effet, les infiltrations d’eau délitent la terre qui semble fondre comme un pain de glace avant de retourner à la nature sans laisser de trace.
 
Parfois, ce sont des interventions inappropriées qui entraînent leur dégradation prématurée. La terre nécessite l’emploi de matériaux naturels perspirants pour évacuer l’humidité. Malheureusement, le déclin des savoir-faire traditionnels a souvent entraîné des réparations au ciment ou la pose d’enduits inadaptés, ce qui a accéléré la dégradation de ces constructions. Ce constat fréquent au moment des recensements nous a laissé le sentiment d’être face à la disparition imminente des bâtiments en bauge. De fait, depuis, nombre d’entre eux ont disparu ou ont été totalement modifiés.
 
Parfois, ce sont des interventions inappropriées qui entraînent leur dégradation prématurée. La terre nécessite l’emploi de matériaux naturels perspirants pour évacuer l’humidité. Malheureusement, le déclin des savoir-faire traditionnels a souvent entraîné des réparations au ciment ou la pose d’enduits inadaptés, ce qui a accéléré la dégradation de ces constructions. Ce constat fréquent au moment des recensements nous a laissé le sentiment d’être face à la disparition imminente des bâtiments en bauge. De fait, depuis, nombre d’entre eux ont disparu ou ont été totalement modifiés.
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Partout, ces démarches s’appuient sur un patrimoine historique encore présent ; elles devraient donner un nouvel avenir à ce matériau, gageons qu’elles rayonnent jusqu’en Sarthe.
 
Partout, ces démarches s’appuient sur un patrimoine historique encore présent ; elles devraient donner un nouvel avenir à ce matériau, gageons qu’elles rayonnent jusqu’en Sarthe.
  
 
[[Fichier:8. Dangeul Croix rouge img395 - Copie.jpg|vignette|Dangeul, la Croix Rouge, four à chanvre carré en bauge. Détruit dans les années 1990 et remplacé par un hangar. Photo Serge Bertin.]]
 
  
 
== La bauge dans le nord de la Sarthe. ==
 
== La bauge dans le nord de la Sarthe. ==
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Il s’agit le plus souvent de modestes dépendances. Notons cependant une grange assez bien conservée à La Guierche et une superbe grange-étable à Moitron (entre Beaumont et Fresnay) malheureusement détruite il y a une vingtaine d’années.  
 
Il s’agit le plus souvent de modestes dépendances. Notons cependant une grange assez bien conservée à La Guierche et une superbe grange-étable à Moitron (entre Beaumont et Fresnay) malheureusement détruite il y a une vingtaine d’années.  
  
 
[[Fichier:7. Souillé, la Chapuisière - Copie.jpg|vignette|Souillé, la Chapuisière, four à chanvre. Photo Patrick Dejust - Maisons Paysannes de la Sarthe.]]
 
  
 
== Les fours à chanvre en bauge du nord de la Sarthe. ==
 
== Les fours à chanvre en bauge du nord de la Sarthe. ==
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Lorsque la culture du chanvre s’intensifie au XIXe siècle, elle se concentre notamment dans la périphérie nord-ouest du Mans et au nord du département où subsiste aujourd’hui le plus de fours à chanvre. Le Perche Sarthois n’en compte que quelques-uns et aucun en terre. L’étude publiée en 2012 par les guides-habitants sous l’égide de Serge Bertin (5) indique qu’il existait encore une douzaine  de fours en terre dans les années 1990 mais beaucoup ont été détruits depuis. Certains de ces fours, construits pour la plupart à la fin du XIXe siècle, étaient en torchis tandis que d’autres étaient en bauge ; c’est le cas de ceux toujours en élévation à la Chapuisière à Souillé, la Huronnière à Saint-Jean-d’Assé, la Rainerie à Lucé-sous-Ballon, à Chanteloup et à Coq Gris à Vivoin ou encore à la Croix Lorrine à Nouans. Ces derniers sont tous circulaires et à deux niveaux mais il en existait aussi de forme carrée à l'image de celui de la Croix Rouge à Dangeul aujourd’hui disparu.
 
Lorsque la culture du chanvre s’intensifie au XIXe siècle, elle se concentre notamment dans la périphérie nord-ouest du Mans et au nord du département où subsiste aujourd’hui le plus de fours à chanvre. Le Perche Sarthois n’en compte que quelques-uns et aucun en terre. L’étude publiée en 2012 par les guides-habitants sous l’égide de Serge Bertin (5) indique qu’il existait encore une douzaine  de fours en terre dans les années 1990 mais beaucoup ont été détruits depuis. Certains de ces fours, construits pour la plupart à la fin du XIXe siècle, étaient en torchis tandis que d’autres étaient en bauge ; c’est le cas de ceux toujours en élévation à la Chapuisière à Souillé, la Huronnière à Saint-Jean-d’Assé, la Rainerie à Lucé-sous-Ballon, à Chanteloup et à Coq Gris à Vivoin ou encore à la Croix Lorrine à Nouans. Ces derniers sont tous circulaires et à deux niveaux mais il en existait aussi de forme carrée à l'image de celui de la Croix Rouge à Dangeul aujourd’hui disparu.
 
La destinée de ces fours semble être celle de nombreux bâtiments en bauge. La fin de leur usage a entraîné leur abandon progressif dans la seconde moitié du XXe siècle. Fort heureusement, l'action énergique menée au début des années 2000 par l'association Sauvegarde des fours à chanvre (5), sous la conduite de son président, Roger Malassigné a permis d’en conserver la mémoire et de sauver quelques témoins.
 
La destinée de ces fours semble être celle de nombreux bâtiments en bauge. La fin de leur usage a entraîné leur abandon progressif dans la seconde moitié du XXe siècle. Fort heureusement, l'action énergique menée au début des années 2000 par l'association Sauvegarde des fours à chanvre (5), sous la conduite de son président, Roger Malassigné a permis d’en conserver la mémoire et de sauver quelques témoins.
[[Fichier:Carte agrandiecontour.png|vignette]]
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== Bibliographie : ==
 
== Bibliographie : ==

Version du 4 mars 2021 à 10:53

Le département de la Sarthe se caractérise par une géologie variée, à l’origine de la diversité des matériaux présents dans l’architecture vernaculaire. Ainsi, la présence d’argiles a entraîné l’utilisation de la terre, sous sa forme crue ou cuite, selon les traditions constructives et les époques. Les tuiles plates et les briques de terre cuite sont encore des éléments marquants de l’architecture rurale de la Sarthe, à laquelle elles confèrent une certaine unité. En revanche, la disparition progressive de la terre crue au XXe siècle a occulté peu à peu son importance passée et ses deux modes de mises en œuvre : torchis et bauge. Néanmoins, si le promeneur averti peut toujours percevoir l’architecture en pan de bois hourdie de torchis, il lui est beaucoup plus difficile de distinguer les rares témoins de l’architecture en bauge. Avant leur disparition totale, au moment où les problématiques environnementales génèrent un regain d’intérêt pour ce matériau durable, nous nous proposons d’en présenter les principales caractéristiques, les usages et de tenter de cerner sa diffusion en Sarthe.


La bauge, l’une des trois techniques d’architecture de terre crue.

Toutes les régions de France ont utilisé la terre dans la construction. Toutefois, il faut distinguer les techniques d’architecture de terre crue, dans lesquelles la terre est utilisée comme matériau porteur, du pan de bois et du torchis, architecture mixte dans laquelle la terre sert seulement de matériau de remplissage de la structure. Toutes deux s’inscrivent dans la continuité des techniques constructives les plus primitives et de leurs évolutions (Loge de charbonnier), elles peuvent coexister dans une même région et à une même époque. Il existe trois principales techniques d’architecture de terre crue qui se répartissent en trois grandes zones géographiques : la bauge présente dans une vaste zone située dans le nord-ouest de la France, le pisé (terre crue coffrée) dominant une large frange sud-est remontant jusqu’à la Bresse et l’adobe (brique de terre crue moulée) localisée dans le sud-ouest.


Le matériau et sa mise en œuvre.

La bauge est composée d’un mélange de terre argileuse ou argilo-limoneuse, de végétal et d’eau. La préparation, épurée de ses cailloux et soigneusement mélangée, est mise en œuvre par couches successives sur un mur solin destiné à isoler la terre de l’humidité du sol. Il existe deux principaux modes de montage du mur. La plus fréquente consiste à disposer à la fourche des lits de bauge de 60 cm environ de hauteur, puis à attendre son séchage partiel avant de supprimer l’excédent sur les côtés à l’aide d’un outil tranchant et de poursuivre de la même façon. Le second mode opératoire s’effectue en préformant des mottes qui sont ensuite alignées humides, puis tassées. Dans les deux cas, l’opération est renouvelée jusqu’à obtention de la hauteur souhaitée. Les ouvertures, généralement peu nombreuses, font l’objet de réserves complétées d’encadrements, le plus souvent en bois comme on en rencontre aussi dans les maçonneries de pierre. Puis, la bauge est généralement enduite à la chaux ou à la terre.


La bauge dans l’ouest de la France

Dans l’ouest de la France, les départements de la Manche (marais du Cotentin et du Bessin) ainsi que L’Ille-et-Vilaine (Pays de Rennes) sont les zones où la bauge est la plus présente. Elle a servi à construire tous types de bâtiments, des plus modestes dépendances aux logis à étage de type manoirs. La bauge a pu être observée sur des constructions du XVIe siècle pour les plus anciennes, mais elle concerne surtout des édifices remontant au XVIIIe siècle et plus encore au XIXe siècle. Au XXe siècle, son usage diminue avant d’être abandonné après la Seconde Guerre mondiale. En dehors de ces deux secteurs, la bauge est présente de façon plus ou moins résiduelle dans de nombreux autres départements. En Pays de la Loire, on peut observer ce matériau dans deux zones, le marais breton, à cheval sur le sud-ouest de la Loire-Atlantique et le nord-ouest de la Vendée où sont conservées les emblématiques bourrines(1)et dans la Sarthe dont le territoire où se situe la bauge se prolonge sur les départements limitrophes de l’Orne en Normandie, de l’Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher en région Centre-Val de Loire.


Un intérêt tardif en Sarthe

En Sarthe, la bauge est encore assez mal connue. Les archives révèlent la présence de la terre dans l’architecture notamment par les mentions fréquentes dans les visites et montrées (équivalent des états des lieux actuels) des termes terrasse et « terrasseur » désignant le matériau terre et le professionnel chargé de sa mise en œuvre, sans que l’on sache à quel type de technique d’utilisation de la terre ces mentions se rapportent. En outre, l’intérêt porté à l’architecture rurale débute dans les années 1930 avec Paul Cordonnier-Détrie qui a relevé et étudié un vaste corpus de bâtiments ruraux. S’il s’est surtout attaché à analyser les formes et les usages, il signale également les matériaux parmi lesquels la terre, mais son analyse semble s’appuyer essentiellement sur l’étude de bâtiments en pan-de-bois. Aussi, il faut attendre l’an 2000 pour qu’un premier article soit consacré à la bauge à partir de l’analyse de cas du secteur de Saint-Calais (2). En outre, au cours de la décennie 2000, un premier recensement est effectué par le Pays d’art et d’histoire du Perche Sarthois ; il servira de base à une communication de Julien Hardy dans le cadre d’un colloque européen organisé par le PNR des Marais du Cotentin et du Bessin en 2006 (3) et à la mise en place d’actions de valorisation : visites, circuits et aides financières à la restauration pour les particuliers. L’étude de terrain fut assortie d’une enquête auprès des habitants du Perche Sarthois qui confirma une confusion déjà observée dans la documentation de Paul Cordonnier-Détrie (Extrait texte PCD), des termes utilisés - terrasse, pogée, bauge ou encore torchis - quelle que soit la technique utilisée. Grâce à ces premières recherches en Perche Sarthois complétées par des repérages sur le terrain des adhérents de l’association Maisons Paysannes de France, il est possible d’envisager la présence de la bauge en Sarthe où elle s’étend au nord et à l’est du département (carte).


La bauge dans le Perche Sarthois.

Dans le Perche Sarthois, 49 sites ont pu être recensés à ce jour, à l’exception de deux cas situés dans les bourgs de Saint-Quentin (rattachée à la commune de Saint-Maixent) et de Sainte-Osmane, il s’agit de lieux dispersés dans la campagne. La bauge apparaît parfois de façon très partielle, sur un seul bâtiment, voire sur un seul pan de mur, parfois même en reprise de maçonnerie. Il s’agit la plupart du temps de maisons modestes et de petits bâtiments agricoles dont la forme ne diffère pas des bâtiments construits dans d’autres matériaux. Dans beaucoup de cas, la bauge est très altérée par l’usure du temps ou prématurément dégradée par l’abandon du bâtiment. Parfois, elle est masquée par des enduits qui ne la laissent entrevoir que dans les zones endommagées. Ce constat laisse supposer qu’il subsiste peut-être plus d’édifices qu’il n’y paraît, surtout pour les maisons re-enduites régulièrement par leurs propriétaires. À ce titre, il n’est pas rare de constater que la façade du logis est construite en pierre, sans qu’il soit forcément possible de savoir si elle a fait l’objet d’une reconstruction ultérieure ou non. La bauge est présente presque partout où la terre est argileuse. Les abords des massifs forestiers aux terres difficiles à valoriser (Vibraye, La Pierre, la Brenaille entre Montaillé et Coudrecieux, etc.) ont révélé la plus grande concentration de bâtiments en bauge. Il s’agit généralement de petits volumes construits sur des propriétés occupées par de modestes paysans ou des journaliers. Dans ces espaces, la technique mise en œuvre correspond à celle décrite plus haut avec l’usage de végétaux grossiers du type bruyère (callune). Plusieurs sites font l’objet d’une variante technique qui semble inspirée du pan de bois puisque les murs ont été renforcés de poteaux verticaux et de contrefiches, c’est le cas à La Fontaine de Guette-Loup à Vibraye (Façade arrière de la maison de la Fontaine de Guette-loup et ses renforts en bois), à Adel à Montaillé ou encore à la Mussardière à Avezé. Toutefois, la bauge est également présente ponctuellement dans d’autres secteurs géographiques sur des sites plus importants comme celui de la métairie des Pâtis à Préval, rattachée à la fin du XIXe siècle au château de la Matrassière, ou à Jauzé au sein de l’ancienne ferme du château de Bel Air et dans le hameau agricole de la Grande Brosse, dépendant du domaine de la Paysanterie. Sur ces trois lieux, la technique mise en œuvre semble bien maîtrisée, elle ne présente pas de renforts de bois. Le site assez remarquable des Pâtis à Préval se distingue sur différents points. En effet, outre la façade arrière de la maison, il comprend dans le prolongement du logis une grange-étable d’assez grande taille. L’élévation présente sur la façade arrière des renforts en pierre aux angles, de même que de chaque côté de petites baies en pierre de taille. Ce type de renforts semble assez rare même s’il a pu être observé sur le four à chanvre de Chanteloup à Vivoin et à Thimert-Gatelles en Eure-et-Loir. Enfin, il s’agit du seul site où la technique de la motte a pu être remarquée.

Ce dernier point doit être nuancé sachant que cette technique est souvent repérable uniquement depuis l’intérieur des bâtiments, or il est rare qu’il soit possible d’y accéder. Quoi qu’il en soit le caractère imposant du bâtiment et le soin apporté à la construction confirme que cette technique ne doit pas être perçue comme l’apanage de la paysannerie la plus modeste puisque les trois derniers exemples relèvent de domaines importants. Aussi, le choix de ce matériau pourrait notamment s’expliquer par la combinaison d’une pression démographique forte et l’évolution de l’agriculture. En effet, les campagnes sarthoises atteignent le maximum de leur population vers 1850, ce qui entraîne la création de nouveaux sièges d’exploitation, y compris sur les terres les plus ingrates jusque là dévolues aux landes. Dans le même temps, l’agriculture fait l’objet d’une diversification des productions et d'une spécialisation des bâtiments agricoles. Ces différents aspects entraînent des besoins considérables en matière de constructions rurales. Pour y faire face, les populations les plus aisées continuent parfois à bâtir en pan de bois par tradition ou privilégient désormais la construction en moellons combinés à la brique dont la production augmente fortement dans cette période. Néanmoins, par souci d’économie, d’autres, souvent les habitants les plus modestes, optent pour la bauge qui ne nécessite pas l’achat de matériaux, la terre pouvant être prise sur le lieu même de la construction, ni d’outils spécifiques, ni de recourir à une main d’œuvre spécialisée même si une certaine technicité est requise. Le manque de maîtrise peut d’ailleurs sans doute expliquer la présence de renforts sur certains bâtiments. La seconde moitié du XIXe siècle est aussi le moment où les échanges se multiplient grâce à l’amélioration des routes et au développement du chemin de fer. Il est donc possible que ces évolutions aient favorisé la diffusion de cette technique depuis les régions voisines. Puis, dès la fin du XIXe siècle s’amorce une longue phase d’exode rural qui s’accentue au tournant du XXe siècle : les campagnes se vident progressivement, la technique de la bauge est délaissée peu à peu au début du XXe siècle et définitivement abandonnée après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux bordages (petites fermes) sont supprimés et leurs bâtiments en bauge se dégradent peu à peu. Très solides lorsqu’ils sont préservés de l’humidité, ils deviennent très vulnérables dès qu’ils ne sont plus entretenus. En effet, les infiltrations d’eau délitent la terre qui semble fondre comme un pain de glace avant de retourner à la nature sans laisser de trace. Parfois, ce sont des interventions inappropriées qui entraînent leur dégradation prématurée. La terre nécessite l’emploi de matériaux naturels perspirants pour évacuer l’humidité. Malheureusement, le déclin des savoir-faire traditionnels a souvent entraîné des réparations au ciment ou la pose d’enduits inadaptés, ce qui a accéléré la dégradation de ces constructions. Ce constat fréquent au moment des recensements nous a laissé le sentiment d’être face à la disparition imminente des bâtiments en bauge. De fait, depuis, nombre d’entre eux ont disparu ou ont été totalement modifiés. Heureusement, quelques édifices ont été sauvés ces dernières années par quelques militants de l’auto-construction ou/et défenseurs du patrimoine. Souhaitons qu’ils fassent des émules. Comme pour le torchis, il est facile de faire de petites restaurations soi-même. En revanche, en cas de problèmes structurels, il s’avère souvent nécessaire de faire appel à des artisans, ils sont désormais quelques-uns en Sarthe à pouvoir intervenir sur les bâtiments en terre. En outre, la Sarthe est l’un des rares départements où il existe encore des aides pour le patrimoine rural non protégé à l’initiative du Conseil départemental et de la Région, dont les subventions peuvent se combiner à l’intervention de la Fondation du Patrimoine. En outre, la bauge fait actuellement l’objet de nombreuses initiatives en Bretagne et en Normandie pour réactualiser ce matériau à faible impact environnemental, à l’image d’un important projet de recherche transfrontalier cobBauge4 financé par les fonds européens FEDER dont l’objectif est de faciliter l’utilisation de la bauge dans la construction en développant de nouveaux procédés de fabrication et de mise en œuvre. Partout, ces démarches s’appuient sur un patrimoine historique encore présent ; elles devraient donner un nouvel avenir à ce matériau, gageons qu’elles rayonnent jusqu’en Sarthe.


La bauge dans le nord de la Sarthe.

Ailleurs en Sarthe, les bâtiments en bauge repérés ne semblent pas différer de ceux du Perche Sarthois (exception faite des fours à chanvre, voir ci-dessous). A défaut d’inventaire, une vingtaine d’ouvrages ont été recensés par des membres de « Maisons paysannes » sur un territoire partant de Neuville-sur-Sarthe, donc proche du Mans, et allant en direction de l’Orne et de l’Eure-et-Loir. La bauge est présente sur les pays du Mans, de la Haute-Sarthe et du Saosnois. Il s’agit le plus souvent de modestes dépendances. Notons cependant une grange assez bien conservée à La Guierche et une superbe grange-étable à Moitron (entre Beaumont et Fresnay) malheureusement détruite il y a une vingtaine d’années.


Les fours à chanvre en bauge du nord de la Sarthe.

Lorsque la culture du chanvre s’intensifie au XIXe siècle, elle se concentre notamment dans la périphérie nord-ouest du Mans et au nord du département où subsiste aujourd’hui le plus de fours à chanvre. Le Perche Sarthois n’en compte que quelques-uns et aucun en terre. L’étude publiée en 2012 par les guides-habitants sous l’égide de Serge Bertin (5) indique qu’il existait encore une douzaine de fours en terre dans les années 1990 mais beaucoup ont été détruits depuis. Certains de ces fours, construits pour la plupart à la fin du XIXe siècle, étaient en torchis tandis que d’autres étaient en bauge ; c’est le cas de ceux toujours en élévation à la Chapuisière à Souillé, la Huronnière à Saint-Jean-d’Assé, la Rainerie à Lucé-sous-Ballon, à Chanteloup et à Coq Gris à Vivoin ou encore à la Croix Lorrine à Nouans. Ces derniers sont tous circulaires et à deux niveaux mais il en existait aussi de forme carrée à l'image de celui de la Croix Rouge à Dangeul aujourd’hui disparu. La destinée de ces fours semble être celle de nombreux bâtiments en bauge. La fin de leur usage a entraîné leur abandon progressif dans la seconde moitié du XXe siècle. Fort heureusement, l'action énergique menée au début des années 2000 par l'association Sauvegarde des fours à chanvre (5), sous la conduite de son président, Roger Malassigné a permis d’en conserver la mémoire et de sauver quelques témoins.


Bibliographie :

Revue « Maisons Paysannes de la Sarthe » n°6 - 2021. La bauge en Sarthe et dans le Perche Sarthois, par Sylvie Lemercier.

Construction en terre en Ille-et-Vilaine, par Marc Petitjean, éditions Apogée, 1995.

Architecture de terre en Ille-et-Vilaine, Editions Apogée, Ecomusée du pays de Rennes, par Philippe Bardel et Jean-Luc Maillard, 2002.

Maisons en terre des marais du Cotentin, Christian Delabie.


Références :

1. Cf. notamment Fouin Jean, Milcent David, « Les bourrines du Marais breton vendéen », Revue Maisons Paysannes de France, n°147.

2. Yvard Jean-Claude, «Constructions en terre au XIXe siècle, dans la région de Saint-Calais», Province du Maine, 5ème série, T.14, 2000, p.159-164.

3. Hardy Julien, « Premières découvertes d’architecture en bauge dans le Pays du Perche Sarthois », pp. 37-51, in L’architecture en bauge en Europe, PNR des Marais du Cotentin et du Bessin, actes du colloque d’Isigny-sur-Mer du 12 au 14 octobre 2006, Condé-sur-Noireau, 2007.

4. http://www.cobbauge.eu/le‐projet‐cobbauge.

5. Guides-habitants ‐ Les Amis de Louis Simon, Le chanvre en Sarthe, Alan Sutton, 2012.