Croix peintes à la chaux en Sarthe

De Maisons Paysannes de France
Révision datée du 21 août 2019 à 08:39 par DEJUST (discussion | contributions) (On trouve encore dans la Sarthe des croix de protection peintes à la chaux sur certaines façades de Maisons Paysannes.)

CROIX PEINTES A LA CHAUX OU "CROIX DE PROTECTION" DANS LA SARTHE.

Si vous vous promenez en campagne, dans le Nord-ouest de la Sarthe, vous remarquerez peut-être, au dessus de la porte principale d’une vieille ferme plus ou moins abandonnée, une croix peinte à la chaux a demi effacée. N’en soyez pas surpris.

C’était une coutume ancienne, dont on ne connaît pas exactement l’origine. Elle tenait à la fois du paganisme et de la religion chrétienne. Le but était de se protéger de toutes sortes de maux par le signe de la croix, en repoussant le démon et les maléfices. Cette coutume peut être interprétée comme un signe de foi, mais elle tenait le plus souvent de la superstition. Pour Paul Cordonnier-Détrie, historien local, les cérémonies accomplies lors de leurs appositions formaient un véritable rituel. En cas de problème, on faisait venir le « guérisseu » :

Ce « guérisseu » conjurera le sort jeté sur les bêtes, car la croyance aux sorts est très répandue et très enracinée encore dans nos campagnes mancelles, comme d’ailleurs dans celles des provinces voisines

Lorsqu’il vient pour une bête malade, le guérisseur fait une enquête rapide, il inspecte l’étable puis prononce l’ « Oraison contre toutes sortes de charmes, enchantements, sortilèges, et tout ce qui peut arriver par le maléfice des sorciers ou par l’incursion des diables… Avant que l’Oraison ne soit achevée, le guérisseur, avec un morceau de bois trempé dans un lait de chaux, trace la croix latine sur le mur ou la porte de l’étable.

Ces superstitions étaient très ancrées dans les campagnes, ce qui entraînait parfois des comportements irrationnels voire déviants. Cependant, il ne faut pas généraliser : pour beaucoup, le signe de la croix était avant tout une façon d’affirmer sa religion et de se procurer une protection contre la maladie et les mauvais sorts.

Pour Pâques, probablement aux Rameaux, les habitants de la ferme blanchissaient leurs intérieurs et entourages d’ouvertures ; ils en profitaient pour tracer le signe de la croix.

La croix de protection est un élément particulièrement typique de l’architecture paysanne d’une partie de la Sarthe. On peut en effet affirmer qu’elle était présente de manière à peu près systématique sur les fermes du Nord-Ouest du département, au moins dans un secteur compris entre Conlie et Beaumont-sur-Sarthe. On en trouve également en Champagne Mancelle, dans la région des Alpes Mancelles, dans le Saosnois, le Belinois, jusqu’à Ponvallain et quelques unes du côté du Grand-Lucé, de Bouloire et de la vallée du Loir. Il est par contre à peu près certain que cet usage n’existait pas, ou très peu, ou qu’il a disparu très tôt, sur un petit quart Nord-Est du département (région de Bonnétable, de la Ferté-Bernard).

Ces constatations doivent être nuancées ; en effet, le relevé des croix est surtout le produit de nos propres déplacements et nos connaissances sur la répartition des croix peintes à la chaux évoluent encore.

Si les croix de protection représentent un élément caractéristique traditionnel d’une partie de la Sarthe, notre département n’en a pas l’exclusivité; Il y en avait en Mayenne, dans la région de l’Erve et bien au-delà du Maine : en Bretagne, en Vendée, dans la Vienne, dans le massif Central. Il est fort probable que cette tradition se soit répandue de manière plus ou moins marquée sur une bonne partie de la France et peut être au-delà.

A quoi tenait le fait de leur forte présence sur certaines parties du territoire et leur quasi-absence par ailleurs ? Cela est très certainement à mettre en relation avec les ambiances politiques de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. Ainsi, les cantons de Ballon et de la Ferté-Bernard étaient plutôt anticléricaux et radicaux-socialistes et les habitants n’ont pas souhaité ou osé faire des démonstrations de piété. Le Nord-ouest sarthois, au contraire, plus traditionnel, montrait volontiers son attachement aux valeurs religieuses. On peut voir dans ces différences un signe des oppositions entre cléricaux et anticléricaux marquant le diocèse du Mans après la révolution, où la ferveur religieuse décroissait d’Ouest en Est. Vers 1840, l’influence de l’église reste forte sur l’Ouest du département, mais le centre se montrait plus tiède et hésitant, tout comme plusieurs zones rurales de l’Est où les hommes avaient déjà déserté les églises. (Histoire religieuse du Maine, p. 226).

C’est de cette époque (fin du 19ème siècle et début du 20ème) que date la majorité des croix peintes encore visibles. Elles correspondent à une période de reconstruction et sont donc contemporaines de nombreuses fermes.

On pouvait voir, sur une maison paysanne recouverte de plusieurs couches d’enduit, deux croix en superposition : la première du 19ème siècle était en partie disparue ; elle recouvrait la seconde du 18ème siècle (Neuvillalais). Ce sont les traces les plus anciennes de cette tradition dont l’origine est en réalité indatable. Les croix les plus récentes sont en général bien tracées, assez petites et régulières. Les croix plus anciennes sont plus grandes, plus grossières, parfois impressionnantes, passées à la chaux rapidement, comme avec une large brosse. Cela accréditerait l’idée qu’autrefois le traçage de la croix sur la façade de la maison correspondait à un cérémonial. Associées aux décorations, (bandeaux, entourages des ouvertures à la chaux) les croix à la chaux renforcent le caractère de certaines maisons du Nord-Ouest de la Sarthe, et ce, d’autant plus qu’il y en avait parfois trois ou quatre sur la même façade! Elles étaient le plus souvent tracées au dessus de la porte de l’habitation, mais on en retrouve également à coté de la porte, surmontant une fenêtre, sur un pignon, parfois aussi au dessus des portes de certaines dépendances.

Sur 113 sites recensés dans la Sarthe en décembre 2011, on dénombre 140 croix : 77 sont au dessus d’une porte d’habitation, 10 sur le côté, 19 au dessus d’une fenêtre et 12 à un autre endroit, par exemple sur un pignon. On trouve 22 croix sur des dépendances, le plus souvent au dessus d’une porte.

Exceptionnellement, une croix pouvait être tracée dans un cadre peint également à la chaux ; elle pouvait également reposer sur un socle pyramidal. A Mézières-sous-Lavardin, on trouve une croix au dessus d’une niche et un cœur sur le coté. A Domfront-en-Champagne, une grande croix noire, faite de mâchefer, (résidus de forge ?) surplombe la porte d’une grange. A Coulans-sur-Gée, il existe une croix au dessus d’une porte, avec des points formant comme une constellation d’étoiles. Ce témoignage est désormais peu visible, mais autrefois, l’effet devait être saisissant. A Teillé, une dépendance comporte 4 croix alignées sur la façade.

On peut assimiler aux croix peintes à la chaux les croix sculptées et insérées dans la maçonnerie ou les niches sculptées surmontées d’une croix. Il y en a quelques beaux exemplaires à Neuvillalais. Il y avait également des croix en bois ou en pierre accrochées sur le mur de la maison. (un seul exemplaire connu encore en place en 2011 à Ségrie).

Comme on le voit, les croix de protection sont des éléments qui marquent parfois fortement certaines maisons paysannes de la Sarthe en renforçant leur caractère ; ces détails touchants nous rappellent la façon de vivre de nos aïeux, leurs croyances, leurs craintes peut-être, leur souci de sécurité.

Malheureusement, ces témoignages sont rarement conservés. Ils disparaissent très vite à cause de leur caractère perçu comme ostentatoire ou parce que les enduits sont souvent entièrement refaits. Il est important de continuer à repérer et recenser les croix de protection, avant qu’elles n’aient toutes disparu, pour mieux connaître cette coutume et notamment préciser son aire de répartition.