Croix peintes à la chaux en Sarthe

De Maisons Paysannes de France
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Croix peinte à la chaux située à Sévilly, commune de Sainte-Sabine sur Longève

Photo Alain Bardet © Maisons Paysannes de France, Délégation de la Sarthe.
Croix peinte à la chaux située au Bas-Possé, commune d'Assé-le-Riboul.

Photo Patrick Dejust © Maisons Paysannes de France, Délégation de la Sarthe.
Croix peinte à la chaux surmontant une niche encadrée peinte à la chaux ainsi qu'un cœur peint, située à Mézières-sous-Lavardin

Photo Alain Bardet © Maisons Paysannes de France, Délégation de la Sarthe.
Croix au dessus de la porte d'une petite maison à Saint-Marceau.

Photo Patrick Dejust © Maisons Paysannes de France.

Croix peinte à la chaux : une coutume ancienne

Si l'on se promène en campagne, dans le Nord-ouest de la Sarthe, il est possible de trouver au dessus de la porte principale de vieilles fermes plus ou moins abandonnées, une croix peinte à la chaux à demi effacée, appelée aussi "croix de protection".

Cette coutume ancienne est assez courante dans la région mais son origine exacte reste actuellement inconnue.

Elle tenait à la fois du paganisme et de la religion chrétienne. Le but était de se protéger de toutes sortes de maux par le signe de la croix, en repoussant le démon et les maléfices. Cette coutume peut être interprétée comme un signe de foi, mais elle tenait le plus souvent de la superstition.

Pour Paul Cordonnier-Détrie, historien local, les cérémonies accomplies lors de leurs appositions formaient un véritable rituel. En cas de problème, on faisait venir le « guérisseux » dont la mission était de conjurer le sort jeté sur les bêtes et cette croyance aux sorts est encore très répandue et très enracinée dans les campagnes mancelles, comme d’ailleurs dans celles des provinces voisines.

Lorsqu’il vient pour une bête malade, le guérisseur fait une enquête rapide, il inspecte l’étable puis prononce l’ "Oraison contre toutes sortes de charmes, enchantements, sortilèges, et tout ce qui peut arriver par le maléfice des sorciers ou par l’incursion des diables…"[1]

Avant que l’Oraison ne soit achevée, le guérisseur, avec un morceau de bois trempé dans un lait de chaux, trace la croix latine sur le mur ou la porte de l’étable.

Ces superstitions étaient très ancrées dans ces campagnes, ce qui entraînait parfois des comportements irrationnels voire déviants. Cependant, il ne faut pas généraliser : pour beaucoup, le signe de la croix était avant tout une façon d’affirmer sa religion et de se procurer une protection contre la maladie et les mauvais sorts.

Pour Pâques, probablement aux Rameaux, les habitants de la ferme blanchissaient leurs intérieurs et entourages d’ouvertures ; ils en profitaient pour tracer le signe de la croix.

Situation géographique

Localisation dans la Sarthe

La croix de protection est un élément particulièrement typique de l’architecture paysanne d’une partie de la Sarthe. On peut en effet affirmer qu’elle était présente de manière à peu près systématique sur les fermes du Nord-Ouest du département, au moins dans un secteur compris entre Conlie et Beaumont-sur-Sarthe.

On en trouve également en Champagne Mancelle, dans la région des Alpes Mancelles, dans le Saosnois, le Belinois, jusqu’à Ponvallain et quelques unes du côté du Grand-Lucé, de Bouloire et de la vallée du Loir.

Il est par contre à peu près certain que cet usage n’existait pas, ou très peu, ou qu’il a disparu très tôt, sur un petit quart Nord-Est du département (région de Bonnétable, de la Ferté-Bernard).

Ces constatations peuvent être cependant nuancées car le relevé de croix résulte des déplacements effectués jusqu'à aujourd'hui par la délégation Maisons Paysannes de la Sarthe. Les connaissances sur la répartition des croix peintes à la chaux sont encore en train d'évoluer grâce à leurs recherches et inspections sur site.

Présence dans les départements voisins

Si les croix de protection représentent un élément caractéristique traditionnel d’une partie de la Sarthe, ce département n’en a pas l’exclusivité. Il y en avait en Mayenne, dans la région de l’Erve et bien au-delà du Maine : en Bretagne, en Vendée, dans la Vienne ainsi que dans le massif Central. Il est fort probable que cette tradition se soit répandue de manière plus ou moins marquée sur une bonne partie de la France et peut être au-delà.

Répartition géographique

La forte présence des croix peintes à la chaux sur certaines parties du territoire et leur quasi-absence par ailleurs est très certainement à mettre en relation avec les ambiances politiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Ainsi, les cantons de Ballon et de la Ferté-Bernard étaient plutôt anticléricaux et radicaux-socialistes et les habitants n’ont pas souhaité ou osé faire des démonstrations de piété. Le Nord-ouest sarthois, au contraire, plus traditionnel, montrait volontiers son attachement aux valeurs religieuses. On peut voir dans ces différences un signe des oppositions entre cléricaux et anticléricaux marquant le diocèse du Mans après la révolution, où la ferveur religieuse décroissait d’Ouest en Est. Vers 1840, l’influence de l’église reste forte sur l’Ouest du département, mais le centre se montrait plus tiède et hésitant, tout comme plusieurs zones rurales de l’Est où les hommes avaient déjà déserté les églises[2].

La majorité des croix peintes encore visibles datent de la fin du XIXème et début XXème siècle. Elles correspondent à une période de reconstruction et sont donc contemporaines de nombreuses fermes.

On pouvait voir, sur une maison paysanne située à Neuvillalais, recouverte de plusieurs couches d’enduit, deux croix en superposition : la première du XIXème siècle était en partie disparue ; elle recouvrait la seconde du XVIIIème siècle. Ce sont les traces les plus anciennes de cette tradition dont l’origine est en réalité indatable. Les croix les plus récentes sont en général bien tracées, assez petites et régulières. Les croix plus anciennes sont plus grandes, plus grossières, parfois impressionnantes, passées à la chaux rapidement, comme avec une large brosse. Cela accréditerait l’idée qu’autrefois le traçage de la croix sur la façade de la maison correspondait à un cérémonial. Associées aux décorations, (bandeaux, entourages des ouvertures à la chaux) les croix à la chaux renforcent le caractère de certaines maisons du Nord-Ouest de la Sarthe, et ce, d’autant plus qu’il y en avait parfois trois ou quatre sur la même façade! Elles étaient le plus souvent tracées au dessus de la porte de l’habitation, mais on en retrouve également à coté de la porte, surmontant une fenêtre, sur un pignon, parfois aussi au dessus des portes de certaines dépendances.

Recensement des croix dans la Sarthe

Sur 113 sites recensés dans la Sarthe en décembre 2011, on dénombre 140 croix :

  • 77 sont au dessus d’une porte d’habitation
  • 10 sur le côté
  • 19 au dessus d’une fenêtre
  • 12 à un autre endroit, par exemple sur un pignon
  • 22 croix sur des dépendances, le plus souvent au dessus d’une porte.

Exceptionnellement, une croix pouvait être tracée dans un cadre peint également à la chaux ; elle pouvait également reposer sur un socle pyramidal.

Localisation

Croix peinte à la chaux au dessus d'une porte de dépendance; Les Aulnaies, commune de Torcé-en-Vallée.

Photo Patrick Dejust © Maisons Paysannes de France.

Croix peintes

  • Mézières-sous-Lavardin : on trouve une croix au dessus d’une niche et un cœur sur le coté.
  • Domfront-en-Champagne, une grande croix noire, faite de mâchefer, (résidus de forge ?) surplombe la porte d’une grange.
  • Coulans-sur-Gée, il existe une croix au dessus d’une porte, avec des points formant comme une constellation d’étoiles. Ce témoignage est désormais peu visible, mais autrefois, l’effet devait être saisissant.
  • Teillé, une dépendance comporte 4 croix alignées sur la façade.
    Croix peinte à la chaux au dessus d'une porte de l'ancienne prison de Douillet-le-Joly.

    Photo Patrick Dejust © Maisons Paysannes de France.

Autres types de croix

On peut assimiler aux croix peintes à la chaux les croix sculptées et insérées dans la maçonnerie ou les niches sculptées surmontées d’une croix. Il y en a quelques beaux exemplaires à Neuvillalais. Il y avait également des croix en bois ou en pierre accrochées sur le mur de la maison dont on recense un seul exemplaire connu encore en place en 2011 à Ségrie.

Les croix peintes à la chaux : un témoignage à recenser et préserver

Les croix de protection sont des éléments qui marquent parfois fortement certaines maisons paysannes de la Sarthe en renforçant leur caractère ; ces détails rappellent la façon de vivre de nos aïeux, leurs croyances, leurs craintes peut-être et leur souci de sécurité.

Malheureusement, ces témoignages sont rarement conservés. Ils disparaissent très vite à cause de leur caractère perçu comme ostentatoire ou parce que les enduits sont souvent entièrement refaits. Il est important de continuer à repérer et recenser les croix de protection, avant qu’elles n’aient toutes disparues, pour mieux connaître cette coutume et notamment préciser son aire de répartition.

Bibliographie

  • DEJUST P., La croix peintes à la chaux ou "croix de la protection" dans la Sarthe, Revue Maisons Paysannes de France, n°184, 2T, 2012. pp. 34-36.
  • DUBREUIL-CHAMBARDEL L., A propos des Croix Blanches des Fermes, Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1908, pp. 678-680. Disponible à l'adresse : https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1908_num_9_1_7085
  • OURY G.-M. (dir.), Histoire religieuse du Maine, Tours, Editions C.L.D., Normand & Cie, janvier 1978.

Références

  1. DUBREUIL-CHAMBARDEL L., A propos des Croix Blanches des Fermes, Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1908, p. 679. Disponible à l'adresse : https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1908_num_9_1_7085
  2. OURY G.-M. (dir.), Histoire religieuse du Maine, Tours, Editions C.L.D., Normand & Cie, janvier 1978. p. 226