Tuffeau en vallée du Loir
Sommaire
Géologie
Le tuffeau ou localement la «tuffe» ou le «tuf» est un calcaire à grain fin, une roche sédimentaire. Cette pierre résulte de la compression de sédiments, composés de micro algues et d’organismes fossilisés. Elle est extraite de couches géologiques datant de l’ère secondaire (Crétacé supérieur entre – 91 et - 88 millions d’années) soit par le procédé des carrières à front de taille soit par le procédé de longues et grandes galeries d’extraction souterraines. C’est ce mode d’extraction qui donnera naissance à l’habitat troglodytique. (photo 1)
Habitat troglodytique
Cet habitat est très présent sur le flanc des façades calcaires qui bordent la vallée du Loir et constitue l’une des composantes du paysage bâti dans le sud de la Sarthe. Sans doute hérité des habitudes préhistoriques c’est un patrimoine souvent méconnu. On trouve une grande diversité de structures et tous les types d’utilisation de la vie rurale. Logis, étables, caves, puits, et fours à pain mais aussi carrières et chapelles forment de véritables souterrains qui peuvent s’étendre sur plusieurs niveaux. A partir de la falaise on creuse des niches que l’on agrandit au fil des besoins humains pour former de nouvelles pièces. La pierre retirée des excavations nécessaires à l’aménagement de ce type d’habitat peut ensuite être revendue comme matériau de construction ou utilisée directement sur le site.
Caractéristiques du tuffeau
On distingue généralement 2 grandes sortes de tuffeau. Le tuffeau blanc, utilisé pour les monuments emblématiques car il s’agit du plus fin et d’une grande qualité et le tuffeau jaune, plus grossier et plus sableux et qui a donc une plus grande porosité. (corniche photo 2 et porche photo 3) Cette porosité importante est comprise entre 35 et 45 % mais elle peut atteindre 55 % ; ceci implique une masse volumique faible de l’ordre de 1400 kg par m³, Ce calcaire capte très facilement l’humidité de l’air et est très capillaire ce qui peut créer des remontées d’eau dans les murs par le sol (remontées capillaires) ; le tuffeau est également un matériau qui possède une grande inertie thermique. Lors de sa sortie de carrière la roche est soumise à un changement de température, de pression et d’humidité. Le tuffeau, plutôt gris et tendre quand il est imprégné d’eau de carrière va durcir en séchant. La pierre change progressivement de teinte et connaît une modification de son épiderme extérieur pour donner une surface protectrice communément appelée le calcin.
Localisation
Cette pierre tendre se trouve dans toute la vallée du Loir de Sablé à la Chartre-sur-le-Loir mais aussi un peu plus en remontant sur un vaste secteur dont les limites nord peuvent être délimitées par les communes de La Suze, du Grand Lucé et de Saint Calais. La ville du Grand-Lucé fut entièrement reconstruite avec du tuffeau extrait par puits de son sous sol après un incendie en 1781. On trouve aussi du calcaire tendre dans la région nord-est de la Sarthe autour de La Ferté-Bernard.
Différents emplois
La grande tendreté de cette pierre lui permet de pouvoir être utilisée dans toutes les parties de la maison aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les corniches de tuffeau sont souvent largement ouvragées et présentent quelquefois des moulurations élégantes. On trouve même des rondelis en tuffeau sur les manoirs. Là ou le tuffeau n’est pas systématiquement présent, on le faisait venir pour être utilisé uniquement dans certaines parties bien précises de la maison. Ainsi les jambages des ouvertures des portes et fenêtres peuvent être en tuffeau importé dans un «pays» plus au nord. (maison Photo 4) Au cœur de la vallée du Loir c’est dans l’utilisation comme pierre de taille que le tuffeau donne sa plus belle expression. La mise en place de grands blocs (parpaings), aux lignes régulières, donne incontestablement aux façades une grande élégance rehaussée parfois de quelques décors finement sculptés. (Façade Photo 5) L’exploitation de la roche permet de fournir ces grands blocs mais aussi d’utiliser les rebuts de taille qui vont être employés dans la maçonnerie commune recouverte d’un enduit à la chaux naturelle. (moellons de tuf photo 6) On utilise également ces grands blocs pour constituer les chaînages qui permettent d’assurer une meilleure liaison entre deux murs. Les enduits dans ce cas viennent au nu des pierres de taille.(pignon avec chaînage Photo 7) A l’intérieur de la maison, on utilise aussi le tuffeau pour certaines constructions comme la cheminée et la voûte du four à pain ou le potager. Le tuffeau se trouve dans toutes les constructions et dépendances. (puits carré Photo 8)
On retrouve l’emploi du tuffeau de la cave au grenier. Dans les lucarnes aux jambages stricts (lucarne photo 9) ou au contraire avec des galbes harmonieux ; dans les caves comme pierre d’appareil pour former de magnifiques et élégantes voûtes en berceau (voûte photo 10).
Conseils de mise en œuvre
Le tuffeau étant une pierre tendre, la taille se fait assez facilement mécaniquement ou manuellement, mais contrairement aux apparences elle reste une pierre abrasive. (ouvriers photo 11) Comme toute pierre, le tuffeau doit être posé sur son «lit» en compression ; une pose en délit entraînerait une dégradation plus rapide et une moindre résistance à l’écrasement. Lors d’achat en carrière le lot est généralement pré-scié et le lit indiqué, en revanche avec les pierres de récupération il est conseillé, dans la mesure du possible, de repérer avant la dépose.
Pose
Pose de pierres pour un ensemble complet (jambages, corniche etc.). Avant la pose on veillera à prendre toutes précautions nécessaires contre les remontées capillaires ou autre sources d’humidité. N’oublions pas que le tuffeau est une pierre très tendre et poreuse et donc très sensible à l’humidité et au gel. La pose peut se faire sur joint de mortier de chaux et de sable ou sur un coulis équivalent à l’épaisseur du joint souhaité ; les joints sont ensuite remplis par un coulis de chaux ce qu’on appelle « ficher » une pierre. Dans tous les cas, toutes les pierres à poser et celles recevant doivent être fortement humidifiées afin d’éviter l’assèchement trop rapide du mortier ou du coulis, ce qui entraînerait une mauvaise prise.
Pose « en tiroir »
C’est le remplacement ponctuel d’une pierre comme par exemple une pierre de jambage ou une pierre de corniche. Étayer le cas échéant et/ou réaliser un coffrage, puis fouiller la pierre dégradée et poser les cales correspondant à l’épaisseur des joints. Après avoir fortement humidifié la nouvelle pierre et les pierres de côtés on pourra insérer la pierre neuve, puis les joints seront aveuglés (remplis) en surface avec un mortier de chaux scellé sur environ 1 ou 2 cm de profondeur. Selon la possibilité on veillera à laisser libre le joint le plus haut pour l’accès du coulis. Lorsque les joints seront suffisamment résistants, après environ une demi heure on pourra commencer à « ficher » la pierre c’est-à-dire remplir les joints avec un coulis (mélange de chaux et d’eau): cette opération se fera en plusieurs étapes espacées de quelques minutes afin de ne pas mettre trop de pression sur les joints frais et ce, jusqu’à la saturation complète du joint.
Réparation : «faire un bouchon»
Le bouchon consiste à réparer partiellement la partie d’une pierre dégradée qui n’a pas besoin d’être remplacée dans sa totalité. (photo 12) Après traçage de la partie à remplacer, à l’aide d’un ciseau à pierre et/ou d’un appareil électro-portatif, fouiller la partie dégradée. Ensuite après avoir taillé «le bouchon», humidifier fortement la pierre et le bouchon, puis appliquer une barbotine (pâte faite de chaux et d’eau) sur les faces du bouchon de pierre qui seront en contact, insérer le bouchon en exerçant une pression ou en tapant légèrement pour que la barbotine se répartisse. Attention, le tuffeau reste une pierre fragile, mais lorsque le tout aura durci, après quelques jours un réajustement pourra être fait.
-Le mortier est constitué de chaux et de sable et doit être adapté en fonction des besoins (l’épaisseur du joint ou l’apparence finale), et dans tous les cas on utilisera des chaux tendres et souples : chaux vive, aérienne, hydraulique type NHL2, formulée mais avec un classement équivalent aux précédentes.
-Les sables lavés généralement utilisés (de granulométrie 0/2 ou 0/4) et qui proviennent de carrière dépourvus d’argile, n’apporteront aucune couleur au mortier. On utilisera donc mais avec précaution des sables non lavés (voir essais préalables). Dans tous les cas n’oublions pas que le joint sert d’amortisseur entre les pierres, et assure les mouvements de dilatation, et qu’il ne doit donc être ni trop dur ni trop hydraulique pour laisser libre la bonne circulation de l’eau et rester en accord avec la dureté de la pierre.
-La barbotine pour «coller les bouchons de pierre, etc. » La barbotine peut varier selon la chaux et l’utilisation désirée, mélange de chaux et d’eau (chaux vive, aérienne, hydraulique NHL2, formulée mais pas plus dure que la NHL2) A titre indicatif : chaux 1.5 volume pour 1 volume d’eau.
-Le coulis : Couler entre les pierres pour une pose en tiroir par exemple Mélange de chaux et d’eau avec un dosage pouvant varier selon la chaux et la destination. A titre indicatif : chaux 3/4 de volume et eau 1 volume.
Nettoyage
Ne jamais utiliser le sablage, trop fort et trop violent : le sable ou autre granulat détruit le calcin, martèle en profondeur la surface de la pierre et détruit les moulures, les arêtes... Le nettoyage haute pression est également à proscrire par la pression de l’eau qui pénètre de plusieurs centimètres dans la pierre et mettra trop de temps à évacuer cette eau. L’onde de choc peut également entraîner une dégradation prématurée.
Plusieurs possibilités :
-Le brossage, lorsque la pierre est peu encrassée, à sec ou avec un peu d’eau et savon. -L’hydrogommage et aérogommage sont des procédés efficaces et peu agressif pour la pierre. -le ravalement lorsque l’état de la pierre l’exige, mais attention ravaler supprime le calcin. -l’utilisation de décapant peut être envisagé sur les pierres peintes.
La protection :
Avant de chercher à protéger il faut contrôler l’environnement de la pierre et trouver par exemple l’origine d’un excès d’humidité. Ne jamais oublier que le tuffeau est une pierre tendre et poreuse et que lorsqu’elle doit être recouverte ne jamais utiliser des produits trop durs ou trop étanches, que ce soit enduit ou fixateur. Attention aux produits chimiques quelquefois trop hydrophobes et donc peu respirants. Utiliser pour bloquer l’effet poudreux, une eau de chaux qui suffira largement à bloquer cet effet poussière et carbonatera la pierre. Le badigeon peut également être utilisé à condition d’utiliser une chaux aérienne ou peu hydraulique. Le badigeon peut être teinté, mais badigeonner une pierre uniformise sa couleur.
Bibliographie
Revue « Maisons Paysannes de la Sarthe » n°6 - 2021 - p. 21 à 25 par Jean-Luc Huger et François Pasquier. Troglos et perreyeux en vallée du Loir, éditions du Cherche-Lune, par Henri Mésange.